Financements de projets pour freiner l’émigration : Associations et migrants mettent à nu une «gestion politisée et peu transparente»

Au Sénégal l’immigration irrégulière est restée une donnée constante. Même si les flux de migrants semblent moins importants qu’au temps du «Barsa wala Barsak», l’écho régulier des drames que renvoient les medias avec des Sénégalais décédés ou disparus, durant leurs parcours migratoires, montrent que des drames continuent de se nouer. Pour freiner le phénomène et trouver des solutions, les autorités, en plus des accords signés avec certains pays européens, ont mis en place des structures de financement de projet, dont le Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise). Mais aujourd’hui, force est de constater que ces plans sont loin d’être une réponse appropriée et suffisante au fléau à cause «d’une gestion politisée et non transparente», dénoncent certaines associations de Sénégalais de retour. Des accusations que rejette le Faise.
Les accords signés par le Sénégal avec l’Union européenne (Ue) mais aussi le financement de
projets proposés aux jeunes pour mettre un frein à l’immigration irrégulière sont loin de donner les résultats escomptés. Si pour certains accords comme le Frontex, considéré par la
majeure partie de la société civile intervenant dans le secteur migratoire, comme une violation des droits des migrants et une simple «soupape de sûreté» pour les gouvernements, qui engrangent des fonds sans faire plus que ça en termes humanitaires, le constat est que les financements de projets proposés aux jeunes, hormis ceux de certaines Ong, sont entachés d’une gestion très controversée. C’est le cas du Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise) mis en place par l’Etat du Sénégal. Cette structure a une mauvaise réputation de la part de certaines associations de migrants de retour et des migrants qui ne font partie d’aucune association que nous avons interrogés. La Secrétaire générale de l’Association des sénégalais de retour de la Belgique, Lala Bocoum ne garde pas un bon souvenir du Faise.
«Depuis la création de notre association, nous n’avons jamais bénéficié de financement de la part des structures mises en place par l’Etat. Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. Nous
avons été reçus par l’administratrice du Faise Mme Mbacké pour voir comment on pourrait
bénéficier des financements. Nous avons discuté et elle nous a demandé de s’organiser et de lui amener un projet. On a tout fait, mais cela n’a rien donné», souligne-t-elle.
Faise : «Une gestion politisée et peu transparente»
Une situation qui ne l’a pas surprise. «Puisque, souligne-t-elle, notre vice-présidente en personne avait déposé son projet, mais elle n’a jamais eu de retour. On nous dit que le Faise procède par sélection, mais nous savons tous que c’est une affaire politique. Si tu ne fais pas
de politique, tu n’as pas de chance, tu vas perdre ton temps, mais on ne va rien te donner».
Poursuivant ces révélations, la Secrétaire générale de l’Association des Sénégalais de retour de la Belgique ajoute : «Ceux à qui on finance le plus, c’est par recommandation. Ou bien il faut connaître quelqu’un du gouvernement». Et comme si cela ne suffisait pas, Lala Bocoum déclare : «On sait comment ça marche, la présidence a un quota, il y a même une liste qui vient la présidence». Au regard de tous ces griefs notés, elle soutient que beaucoup de migrants de retour n’ont plus envie d’aller rencontrer le Faise. «Je vous dis que pour l’année prochaine, ils ont déjà sélectionnés, c’est comme ça que ça se passe. Ces genres de pratiques existent depuis le Pds. Le Faise, c’est pour le parti au pouvoir», fulmine-t-elle. Bocar Ba de Thiès, migrant qui est revenu de la Belgique, il y a un an, n’en pense pas moins. Il affirme : «Je n’ai de financement de quelconque structure de l’Etat que ce soit. Je ne perds pas mon temps d’aller au Faise. Parce que je sais que tout est politique. Ce n’est pas ce genre de projet qui va maintenir les jeunes au pays. Lorsque je suis rentré, l’année dernière, dans des conditions très compliquées, aucune structure ne m’a aidé, à part Caritas qui m’a soutenu à travers un financement».
«Sur une vingtaine de personnes orientées au Faise, une seule a bénéficié de financement»
Le chargé du projet Retour volontaire et réintégration de la Caritas Dakar, Jacques Niouky et celui du Projet de lutte contre la pauvreté et l’immigration clandestine des jeunes dans la banlieue de Pikine, Michel Boucar Bakhoum, ont confirmé que plusieurs migrants de retour leur ont fait savoir qu’ils n’ont jamais bénéficié de financement des structures de l’Etat et que tout est politisé là-bas. «Nous les orientons souvent à aller voir ces structures comme le Faise, mais ils nous disent qu’elles sont politisées», renseigne Jacques Niouky. Vrai ou pas ? M. Niouky est sûr d’une chose. C’est que, «sur une vingtaine de personnes que nous avons orientées au Faise, il n’y a qu’une seule qui a bénéficié de financement. Actuellement,
beaucoup de migrants nous disent qu’ils ne croient pas à ce financement».
Aussi, M. Bakhoum souligne : «Je n’ai pas encore vu un jeune dire qu’il a été financé par une structure de l’Etat. Et quand tu leur parle de ces dites structures, ils sont découragés. J’ai été rencontrer l’Association des jeunes rapatriés de Thiaroye-sur-Mer pour leur parler de réinsertion. Mais ils ne veulent même pas entendre parler de ces structures». Au-delà du fait qu’ils ne font pas confiance à ces structures de l’Etat, il y a aussi le fait que ces jeunes ne sont pas bien informés sur les opportunités qu’offrent ces structures. C’est le cas de Mody Sy, habitant à Yarakh, de retour au pays il y a deux ans. Faisant partie du Conseil de son quartier, il confie : «Nous jeunes de Yarakh qui sommes de retour avons un problème d’orientation. Nous sommes très mal informés, nous ne connaissons aucune structure de financement. Plus grave, nous ne connaissons pas les techniques de recherches d’emploi».
Caritas Dakar bénie par les migrants de retourLa majeure partie des migrants de retour et autres responsables d’associations ont décerné une mention spéciale à la Caritas Dakar. Ce, même s’ils reconnaissent que les financements ne sont pas assez consistants. C’est le cas de la Secrétaire générale de l’Association des Sénégalais de retour de la Belgique Lala Bocoum et de Bocar Ba de Thiès, des migrant rentrés de la Belgique. Ces derniers témoignent que tous leurs financements viennent de la Caritas. Idem pour les membres de l’Association des jeunes dans la banlieue de Pikine qui lutte contre la pauvreté et de l’immigration clandestine. Selon leur chargé de projet, Michel Boucar Bakhoum, «les financements que nous avons eus, sont des fonds privés de nos partenaires comme Caritas et ceux de l’Eglise Allemande qui appuie le Diocèse de Dakar. Pour notre association, nous n’avons pas bénéficié des financements des structures mises en place par l’Etat». Interpellé sur la gestion des financements de Caritas, Jacques Niouky, chargé du projet Retour volontaire et réintégration de la Caritas, explique que «Caritas Dakar travaille avec Caritas Belge depuis 2009 et avec une structure Allemande depuis 2014. De concert avec ces structures, Caritas Dakar travaille dans la plus grande transparence pour la réinsertion et l’accompagnement des personnes identifiées et qui ont exprimé leur volonté de rentrer au pays». Pour les conditions de financement, M. Niouky renseigne: «C’est un processus. Avant de financer un projet, nous voyons d’abord l’environnement, si les conditions sont respectées. Et après le financement, il y a un accompagnement, un suivi et une évaluation. Tous ces projets entrent dans le cadre de la réinsertion. Et pour la plupart, ce sont des gens qui viennent de la Belgique et de l’Allemagne». Quid d’un quelconque soutien financier ou collaboration avec les structures de l’Etat ?
M. Niouky souligne qu’il n’en bénéficie pas. «Caritas n’a jamais reçu de financement du Faise. L’année dernière, on était partis voir le Faise et nous avons expliqué à l’administratrice, Mme Mbacké, que nos financements sont insuffisants. Nous lui avons aussi demandé si l’Etat pouvait compléter une partie pour pouvoir financer d’autres projets pour les migrants de retour qui frappent à nos portes. Elle a demandé à ce que ces personnes s’organisent en association, mais il n‘y a pas de suivi. Il y a 3 ans de cela, on avait rencontré un responsable ministère des Sénégalais de l’extérieur, en l’occurrence M. Diallo, mais nous n’avons pas pu concrétiser quelque chose», se désole-t-il.
Source: Le Populaire

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